LES GRECS, DES PESTIFÉRÉS ! par François Leclerc

Billet invité.
Paul Jorion : il est très rare que je me sente obligé de marquer des réserves par rapport aux analyses de François Leclerc, mais c’est le cas pour le présent billet. Le mécanisme de la décompensation est bien connu : à une euphorie exceptionnelle, succède une déprime, due à la baisse brutale de l’adrénaline. J’ai le sentiment de l’observer aujourd’hui parmi tous ceux qui s’étaient réjouis du « Non » massif au référendum de dimanche.
Bien sûr, je répète moi-même que le comportement de la Troïka (inspirée par l’Allemagne) est suicidaire et il est possible que le processus d’apoptose (suicide programmé d’un organe qui se sait condamné) de la zone euro soit entamé, mais il me semble prématuré de l’affirmer : le pire n’est pas encore certain !

Matteo Renzi, le président du conseil italien, assignait hier au sommet européen de ce soir l’objectif d’indiquer « une voie définitive pour résoudre » le problème posé par la Grèce après la victoire du « non » au référendum. Ce sommet ne tranchera pas encore mais ne réglera rien, une fois de plus. Tout au plus peut-on attendre un sursis.

Comment pourrait-il être désormais évité que la Grèce, asphyxiée financièrement, sorte de l’euro ? Quel compromis le permettrait-il ? Après avoir remplacé son ministre des finances et s’être appuyé sur l’ensemble des partis politiques grecs (sauf Aube Dorée), Alexis Tsipras a multiplié les contacts téléphoniques, y compris avec Christine Lagarde et l’Américain Jack Lew, mais il a joué ses dernières cartes.

Que peut obtenir François Hollande, qui s’est trop tardivement réveillé et n’éludera pas ses responsabilités ? Il a préféré masquer ses divergences avec Angela Merkel après sa rencontre d’hier soir, au nom d’un moteur franco-allemand qui a vécu et dont il ne peut être préservé que le mythe : l’Allemagne imprime désormais seule sa marque en Europe. Ne s’étant jamais démarqué de la politique d’Angela Merkel au prétexte de mieux l’influencer, il a perdu en essayant, sans résultat, de biaiser.

Quel est le véritable gagnant, si ce n’est le monde libéral des grandes affaires et de la finance qui va faire la pluie et le beau temps dans l’Europe qui se prépare ? La régulation financière est une affaire du passé, de nouvelles règles contraignantes de gouvernance européenne vont émerger. Pour le reste, le chemin est tout tracé : les inégalités de toutes natures – entre pays, au sein de chaque société – se développent et rendent précaire une union qui va marcher à reculons. L’Europe ne représente plus un espace partagé au sein duquel les ressources et les cultures sont mises en commun mais un système de contraintes affranchies de tout contrôle démocratique et au profit du marché. Son délitement a commencé et ne peut que s’accentuer.

Pour parvenir à leurs fins, les plus hautes autorités européennes auront joué un double jeu, asphyxiant financièrement d’une main la Grèce et organisant de l’autre un simulacre de négociations qui n’avaient d’autre but que d’obtenir la capitulation du gouvernent grec. Tout du long de ces semaines, ils ont manipulé les opinions publiques avec le soutien de médias complaisants, joué de la confusion qu’ils entretenaient et des histoires qu’ils racontaient. Le pire a été entendu quand ils ont reproché à un gouvernement qui n’en avait ni le temps, ni les moyens, de ne pas avoir réformé en cinq mois une société avec laquelle leurs banques et leurs entreprises ont des années durant fait des affaires, après avoir fermé les yeux lors de l’entrée de la Grèce dans la zone euro, puis s’être rendu coupable de soutien abusif.

Au moment de trancher, les créanciers de la Grèce n’assument même pas leur politique. Ils s’efforcent de faire prendre à la BCE la responsabilité d’enclencher la phase finale. En organisant pour la frime un nouveau sommet. Dernière pantalonnade, ils sont capables pour se dédouaner de décider d’un plan humanitaire pour la Grèce.

La Grèce est traitée comme une rebelle condamnée à l’exil. Il ne lui est pas pardonné d’avoir utilisé l’arme de la démocratie. Ses créanciers ne veulent pas admettre qu’ils ont eux-mêmes aggravé le caractère insoutenable de sa dette et que la mise en œuvre de leurs exigences a produit un désastre. Pour le masquer, il ne reste plus qu’à faire des Grecs des pestiférés. Des assistés comme ils disent quand ils veulent rabaisser.